Mémoires de la Faculté des Géosciences et de l'Environnement

Cote: 508
Auteur: MAILLARD Jean-Claude
Année: Juillet 2000
Titre: Parc Bourget, médiateur de cohésion sociale? Analyse des ressources socio-spatiales et des modalités de fréquentation d'un espace public urbain: le cas du parc Bourget à Lausanne
Sous la direction de: Prof. Jean-Bernard Racine
Type: Mémoire de licence en géographie
Pages: 198
Complément: 7 figures, 34 photos, 4 cartes; 3 annexes
Mots-clés: Géographie humaine / Géographie sociale / Géographie urbaine / Urbanité / Sociabilité / Interculturalité / Mixité sociale / Cohésion sociale / Territorialités urbaines / Proxémique / Méthodes qualitatives : entretiens semi-directifs et observation participante / Parc urbain / Espace public / Parc Bourget / Lausanne (Commune) / Vaud / Suisse
Résumé: Les ressources socio-spatiales des parcs urbains et les modalités de fréquentation de ces espaces sont la plupart du temps considérées comme « évidentes » par la littérature spécialisée, quand celle-ci ne confine pas leur valeur sociale au stéréotype : réponse à un besoin de nature et de chlorophylle, de détente et de récréation. Pourtant, le parc urbain est avant tout un espace public, avec des caractéristiques propres (dues à une inscription dans un tissu urbain à chaque fois unique) et des enjeux sociaux à l'échelle de la société : le parc urbain est aussi un lieu de sociabilité, de côtoiement distant, d'apprentissage de l'altérité et de socialisation à la différence. Dès lors, pourquoi ne pas dépasser la problématique « ville-nature » présidant à la majorité des études relatives aux parcs urbains, en l'intégrant à une démarche et à un référentiel théorique qui inscrivent ces espaces dans une problématique socio-géographique de l'espace public ? Nous nous y sommes attaché dans le cadre de l'étude d'un parc urbain lausannois \"le parc Bourget\" qui connaît chaque été, depuis deux décennies au moins, un succès unique auprès de la population et qui est, de fait, confronté à des problèmes considérables de surfréquentation. Créé aux confins du territoire de la commune de Lausanne dans les années 1913 à 1915, cet espace public se révèle être des plus paradoxaux. Des réaménagements successifs au cours du XXème siècle l'ont en effet lentement transformé en parc récréatif sans que ne soit pour autant remise en question son identité officielle de réserve naturelle et ornithologique. Partagé entre ces deux facettes, cet espace est placé sous le signe d'une négociation permanente entre sa valeur écologique et une surfréquentation citadine. Difficile équilibre, que les gestionnaires parviennent néanmoins à préserver en appliquant les méthodes de la gestion différenciée et en intégrant une réflexion écosystémique qui ne fait pas de l'homme un intru au sein d'un milieu naturel, mais un acteur à part entière, au sein d'un milieu qui demeure avant tout un milieu urbain. Nous sommes parti du principe que la surfréquentation estivale du parc Bourget pouvait être expliquée en étudiant les rapports de sociabilité qui s'y inscrivent, en posant l'hypothèse de base que ceux-ci sont à ce point valorisés par les usagers qu'ils constituent en eux-mêmes une motivation suffisante pour fréquenter le parc, notamment parce qu'ils véhiculent une image presque festive \" et en tous les cas empreinte d'urbanité\" de convivialité, de mixité sociale et d'interculturalité sans équivalent dans l'espace public lausannois. Autrement dit nous avons cherché à découvrir si le parc Bourget pouvait être considéré comme un médiateur de cohésion sociale, en ce sens qu'il contribuerait alors à l'urbanité et au « vivre ensemble » de la ville de Lausanne, en permettant de générer du « lien social » entre ses habitants, à un moment où d'une part, d'aucuns prédisent la mort des espaces publics ou leur muséification, compte tenu du repli des citadins occidentaux dans l'espace du privé, et où, d'autre part, l'espace public est fréquemment décrit comme éclaté et n'assumant plus véritablement sa vocation de lieu d'apprentissage de l'altérité, d'autre part. Concrètement, nous avons focalisé notre recherche sur l'étude des ressources socio-spatiales du parc Bourget et ses modalités de fréquentation, et ceci sur différents plans. Sur le plan théorique, d'abord, en inscrivant ce lieu dans le contexte de la sociabilité urbaine contemporaine, et plus généralement, dans la problématique de l'urbanité, afin de dépasser la problématique ville-nature qui préside à la plupart des études des parcs urbains et qui ne paraissait pas suffisante pour restituer à elle seule les enjeux relatifs à sa dimension d'espace public, d'une part, afin de nous donner un maximum de moyens conceptuels et méthodologiques pour étudier les interactions entre la dimension spatiale et la dimension sociale de ce parc, d'autre part. Ce référentiel théorique nous a permis de poser et de formaliser la question du rôle de médiateur de cohésion sociale du parc Bourget, d'élaborer un modèle d'analyse en conséquence et de transformer nos questions de départ en hypothèses de travail. Sur le plan morpho-fonctionnel ensuite, avec l'étude diachronique puis synchronique de l'aménagement de cet espace public, de l'influence de ce même aménagement sur les pratiques sociales qui se sont développées dans le parc, et du rôle de ce dernier à l'échelle du territoire urbain lausannois. C'est la manière dont se côtoient les différents usagers du parc Bourget, c'est le regard qu'ils portent les uns sur les autres, la conception qu'ils se font de la qualité de ce parc et la qualité qu'ils perçoivent effectivement, mesurée elle-même sur la qualité des liens sociaux qui s'y nouent, c'est le fait qu'ils s'agrègent, se ségrègent ou se succèdent, qui nous ont intéressé, dans la mesure où ces activités représentent ainsi à travers leurs acteurs, les usagers des parcs urbains, un indice de la cohésion sociale que nous avons précisément cherché à saisir dans ce lieu public. Cette analyse nous a permis de montrer les spécificités de cet espace public, de dégager les principaux traits identitaires du parc Bourget et de conclure à son statut d'espace paradoxal, en constante négociation d'un « équilibre entre des tendances à l'ordre (centripètes) et des tendances au désordre (centrifuges) » (respectivement entre sa définition de réserve ornithologique et son usage essentiellement récréatif), lui reconnaissant par là les caractéristiques mêmes de l'urbanité. Sur le plan culturel enfin, en nous attachant d'une part à l'étude des rapports des usagers avec le parc Bourget en termes de fréquentation, de perceptions et de représentations, d'autre part, et plus spécifiquement, à l'examen des interdépendances entre les formes, les usages et les significations de cet espace public pour ses usagers, avec le développement des points qui se sont révélés centraux pour notre recherche, à savoir la qualité des relations sociales, l'existence diffuse de territorialités et de phénomènes marginaux d'appropriation, enfin la reconnaissance des règles de sociabilité (proxémique) régissant les rapports intergroupes. Cette analyse nous a permis de mettre en évidence à travers le discours de différents acteurs et les données issues d'observations participantes, comment, sur quels rythmes et par qui est investi le parc Bourget en période estivale. Les résultats obtenus ont révélé l'existence, diffuse, d'une « géométrie des rassemblements », un certain entendement des usagers sur une forme de contrat minimal de lecture du lieu, une ouverture à l'altérité ethnique, mais aussi parfois quelques conflits ou malaises liés à la proximité spatiale des usagers ou à quelques autres problèmes d'ordre socio-géographique. Les ressources du parc Bourget nous sont apparues finalement comme reposant moins sur les pratiques diversifiées qui s'y déploient que sur un système de représentations communes du lieu. Si les pratiques et les usages du parc Bourget sont en effet révélateurs d'une sociabilité tertiaire, un sens commun à tous les usagers exagère ou biaise la qualité des liens sociaux, soit en transcendant cette dernière, instituant par là même le parc Bourget comme espace public idéal, soit en les confortant dans l'image stéréotypée de convivialité de ce lieu. En tous les cas, ce système de représentations constitue en lui-même un élément de cohésion sociale.