Résumé: |
Entre 1993 et 1994, la place Saint-Laurent et les escaliers de son église sont devenus le lieu de ralliement, le point de rencontre de toute une catégorie de personnes, communément qualifiées de marginaux : toxicomanes, cas psychiatriques, alcooliques, chômeurs, rentiers AI? Ce lieu est devenu au fil des années de plus en plus connu et de plus en plus médiatisé. Les approches préliminaires de terrain ont immédiatement fait apparaître un double discours. D'une part, la population du quartier (surtout les commerçants, mais aussi les habitants et les passants) ressent un fort sentiment d'insécurité, se plaint publiquement de la présence de ce groupe sur cette place et des \" incivilités \" qu'il engendre. D'autre part, les autorités officielles et les intervenants de rues nient toute augmentation de l'insécurité réelle dans le quartier.
Qu'en est-il réellement ? Comment ce groupe modifie-t-il l'espace qu'il s'est attribué et ses alentours ? Comment l'environnement direct (commerçants, habitants, policiers, assistants, médecins), indirect (passants, touristes, autorités politiques) perçoit-il ce groupe, comment vit-il cette appropriation et/ou cette cohabitation ? Comment par rapport à ce groupe se construit un sentiment d'insécurité ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles cette recherche a tenté de répondre.
Nous avons pu établir grâce aux apports théoriques, que la peur personnelle et la préoccupation étaient deux dimensions indissociables mais distinguables du sentiment d'insécurité. La peur personnelle est plutôt liée au corps et aux relations interindividuelles alors que les préoccupations le sont plutôt aux collectifs d'identification et aux institutions publiques. La troisième dimension, qualifiée d' \" incivilité \" relie les deux précédentes.
C'est sur la base d'entretiens (directif libre et non directif) que nous avons mesuré le sentiment d'insécurité ressenti par les acteurs confrontés à cette scène de la drogue. Il s'est rapidement avéré que la peur personnelle était souvent peu évoquée mais que la présence des toxicomanes était souvent considérée comme le stigmate de dysfonctionnements sociaux plus profonds. Parmi ces éléments, citons la violence, particulièrement chez les jeunes, la précarité individuelle, le chômage. Ces éléments constituent les fondements de préoccupations liées au sentiment d'insécurité.
D'autre part nous avons constaté à quel point cette appropriation de l'espace engendre des dynamiques et contre-dynamiques. Elle est productrice, à de nombreuses échelles, selon l'appréhension qu'elle engendre, d'une quantité d'actions, de réactions, de contre-actions, soit pour venir en aide aux marginaux, soit pour les chasser ou encore pour s'en protéger.
Entre le début de la recherche et son terme, nous avons relevé une importante évolution du sentiment d'insécurité, passant d'un prédominance de la peur (liée à la \" nouveauté \" du phénomène) à une prédominance préoccupationnelle. Il n'en reste pas moins que les toxicomanes en groupe et leur comportement engendre un désarroi certain.
En conclusion, il existe un décalage important entre l'insécurité réelle et son appréhension en un sentiment d'insécurité. Cette importante distorsion ou décalage provient des grandes parts d'irrationnel et d'idéologie qui entrent en compte dans l'appréhension de l'espace. L'intériorisation de ce sentiment a ensuite des répercussions sociales et spatiales, à la fois individuelles et collectives. |