Résumé: |
L'intention de ce mémoire est de confronter deux réseaux différents, les réseaux techniques, c'est-à-dire les réseaux d'infrastructure tels que pensés par les ingénieurs, et les réseaux territoriaux, tels que pensés par les sciences humaines et sociales, dans leur lien étroit avec l'espace socio-économique. Cette confrontation s'opère depuis un point d'observation, la gare de Lausanne, qui sert de référence égocentrée à l'analyse.
Il y aurait ainsi deux types de réseaux qui ne se calqueraient pas directement l'un sur l'autre, malgré des points de référence communs: l'un obéissant aux \"projets transactionnels\" des acteurs, selon le terme de C. Raffestin, relevant du désir et de l'imaginaire, l'autre étant réalisé par les opérateurs de manière à répondre à ce désir et à cet imaginaire, tout en le contraignant inévitablement en faisant jouer les logiques politique et économique. C'est dans le passage entre un réseau territorial, par nature homogène, isotrope, à forte connexité et un réseau technique, caractérisé par son hétérogénéité, son anisotropie que se détermine la hiérarchie du territoire, et partant, une géographie du pouvoir répondant aux vues d'acteurs privilégiés. A ceci, il faudrait ajouter que dans un mouvement d'incessant va-et-vient le réseau technique produit à nouveau un réseau territorial: il se déterritorialise dès lors qu'il est placé entre les mains des acteurs qui vont s'efforcer de recréer \"un réseau d'anti-discipline\" au moyen des \"ruses\" et \"bricolages\" du quotidien, comme a pu le montrer M. de Certeau.
Une première partie ambitionne de qualifier le réseau du point de vue technique. Les questions historiques concernant la constitution du réseau ferroviaire helvétique nous permettent d'aborder les divers enjeux liés au réseau. La dépendance mutuelle des institutions, des savoir-faire professionnels et des représentations démocratiques fait surgir la question des effets structurants du réseau et leur validité et met en évidence la complexité des mécanismes de constitution, de gestion et de modification des réseaux.
Le second chapitre envisage les aspects territoriaux du réseau ferroviaire, ceux qui plongent au coeur de l'espace vécu dans et par l'itinéraire, de manière transdisciplinaire. Le territoire est fréquemment assimilé à un texte qui refléterait les pratiques sociales. Dans le même ordre d'idées, nous nous nous intéressons aux relations entre le cheminement géographique et le récit pour montrer un des processus de fabrication du territoire. Ensuite, la naissance de la vision panoramique à l'âge de la photographie et du chemin de fer nous amène à considérer la question du mouvement, fruit du temps et de l'espace, ainsi que les différences qui peuvent séparer mouvement et vitesse.
Quitter le réseau pour rentrer dans la gare, puis dans la ville, c'est se retrouver confronté au \"plein de petits bouts d'espaces\" de Georges Pérec. Le thème de la gare est abordé selon trois orientations générales: la première, d'ordre historique, examine l'emplacement de la gare dans la ville, et au travers du concours architectural, les rôles respectifs de l'ingénieur et de l'architecte, dont le partage des tâches s'inscrit dans la problématique de la technique et du territoire; la seconde orientation se préoccupe de la gare comme espace social en abordant des thèmes tels que l'interculturalité, les flux de voyageurs et les lieux interstitiels, le temps et l'attente; la dernière partie s'interroge sur les relations entre commerce et patrimoine en essayant de montrer comment ces deux orientations sont gérées dans le double mouvement de conservation historique et de privatisation des espaces publics. L'évolution des gares, dépendant de l'évolution des pratiques de mobilité, des temps de la ville et du changement de certains processus économiques, ne peut s'envisager que dans le cadre d'une politique de réaménagement des gares et des terrains des gares profondément dépendante des affirmations urbanistiques et sociales. Ces considérations permettent de s'interroger sur le concept émergent de \"gare intelligente\", de répondre à la question de la place de la gare dans la société et dans la ville, ainsi que de mettre en relation les aspects techniques et territoriaux qui s'y réfèrent.
La gare, de par sa double fonction d'ouverture sur l'ailleurs et de porte de la ville, nous permet de réfléchir aux questions de rupture de charge et d'expliquer en partie pourquoi les approches des réseaux et de la gare se font la plupart du temps sur le mode technique, en ignorant le fait que le mouvement ne se greffe pas sur l'espace, mais forme un territoire dans ses relations avec l'environnement.
Les lieux interstitiels balancent entre histoire et mémoire alors que la sérialité commerciale s'approprie les espaces publics. Entre la redéfinition de la gare comme monument historique et comme espace d'enjeux commerciaux, il s'agit de ne pas perdre la dimension de mémoire collective au travers de la volatilisation des messages et d'en conserver une inscription vivante dans le texte de la cité. |