Conséquences du réchauffement climatique, les retraits glaciaires s'accentuent et les écroulements rocheux se multiplient en haute montagne. Cet effondrement géologique bouleverse les paysages alpins et entraîne un autre effondrement, celui de la perception de ces montagnes. Dans le même temps, d'autres formes de relations à celles-ci, comme les récentes cérémonies funéraires pour des glaciers disparus, se font jour.

Ce projet a pour objectif d'étudier ces transformations socio-culturelles encore très peu connues et qui sont de l'ordre de l'imaginaire, des émotions, de l'esthétique et des pratiques sensibles et ritualisées face à ces effondrements. Il ambitionne d'ethnographier des situations de « collapsologie concrète » et d'interactions avec des « êtres de la montagne » des personnes ayant en commun un rapport à la fois sensible et affectif aux montagnes du massif du Mont-Blanc et des Alpes valaisannes : guides, cristalliers, glaciologues, alpinistes, photographes, artistes, etc.

En s'appuyant sur les travaux les plus récents dans les champs des humanités environnementales, de l'anthropologie « plus qu'humaine », ainsi qu'en anthropologie sensorielle et rituelle, le projet poursuivra les trois buts spécifiques suivants :

1/ Cartographier ces réseaux montagnards, et recueillir puis analyser leurs discours autour de leurs relations à la haute montagne, avec une attention particulière portée aux expressions de sentiments de perte, de tristesse, mais aussi aux manières de surmonter ce « deuil » en développant de nouvelles formes d'interrelations avec la montagne, avec des espaces/êtres particuliers.

2/ Observer les situations concrètes d'interactions avec des entités particulières tels des glaciers et documenter les processus d'innovation rituelle afférents, par une ethnographie sensible des interactions et des rituels, ainsi que des pratiques éco-thérapeutiques.

3/ Documenter les transformations des perceptions esthétiques d'une montagne qui se délite au sein du même milieu, de la construction de leur jugement du du beau jusqu'aux sentiments éprouvés (une nouvelle forme de sublime ?) face aux changements constatés.

Seront employées les méthodes usuelles de la recherche ethnographique (observation participante et conversations informelles, entretiens semi-directifs, et analyse d'un corpus de discours), renforcées, pour l'observation, par les approches et techniques de l'anthropologie sensorielle et, pour l'analyse, par les travaux sur les processus rituels, l'animisme et l'anthropomorphisme. Une méthodologie innovante devra être élaborée pour rendre compte de l'évolution des perceptions esthétiques.

Cette recherche croise plusieurs problématiques d'une grande actualité scientifique entre la popularité des théories de l'effondrement, les nouvelles formes d'interactions sensibles et rituelles avec des êtres autres qu'humains, non pensants mais néanmoins actants de notre monde, et les reconfigurations esthétiques et spirituelles associées. Elle contribuera à améliorer la compréhension de ces phénomènes en croisant notamment de manière novatrice des approches et des thématiques envisagées séparément jusqu'à présent, dans le contexte localisé d'une montagne qui s'écroule, milieu d'un grand intérêt en tant que « sentinelle » des changements climatiques.