| Résumé: |
Ce mémoire s’intéresse aux effets de la privatisation de la gestion des forages ruraux sur l’accès à l’eau potable au Sénégal, ceci à travers une étude de cas centrée sur le village de Taïba Ndiaye. Depuis 2014, le Sénégal a amorcé une réforme structurelle de son secteur hydraulique rural en confiant la gestion des forages ruraux à des opérateurs privés dans le cadre de délégations de service public. Cette réorientation visait à améliorer la performance, l’efficacité et la durabilité du service. La mise en œuvre de cette réforme dans les zones rurales suscite toutefois de nombreuses tensions et interrogations que ce travail se propose d’analyser.
Avec une approche théorique combinant la Political Ecology et l’Environnemental Governance, ce mémoire étudie les dynamiques de gestion de l’eau à travers une lecture croisant enjeux sociaux, institutionnels et territoriaux. L’eau, loin d’être un simple bien technique ou marchand, est ici envisagée comme un bien commun vital, historiquement géré par les communautés villageoises à travers des formes de gouvernance locale profondément ancrées et évolutives.
L’étude empirique s’appuie sur une méthodologie mixte, alliant une enquête quantitative auprès des usagers de Taïba Ndiaye et des entretiens semi-directifs menés auprès d’acteurs institutionnels, communautaires et privés. Les résultats mettent en évidence plusieurs effets ambivalents de la privatisation. Si certains usagers reconnaissent une amélioration de la qualité de l’eau et de la continuité du service, la majorité exprime des préoccupations croissantes quant à la hausse des tarifs, l’inaccessibilité à l’eau dans certains villages, l’alimentation par intermittence, la perte de contrôle local sur le service, ainsi que le manque de transparence et de participation dans la gestion. La privatisation semble ainsi exacerber des inégalités d’accès, tout en affaiblissant les dynamiques de solidarité traditionnelles.
Au-delà du cas de Taïba Ndiaye, ce mémoire interroge plus largement les conditions d’une gouvernance de l’eau à la fois efficace, équitable et légitime. Il plaide pour une réintégration des usagers dans les processus décisionnels, une contextualisation fine des modèles de gestion, une reconnaissance des savoirs et pratiques locales. Il suggère que la mise en place de formes différenciées de gouvernance, adaptées aux réalités locales, constitue une voie plus durable. Cette approche permettrait de garantir un accès équitable et socialement légitime à l’eau en tenant compte des spécificités sociales, culturelles et institutionnelles propres à chaque territoire, ceci en assurant la participation effective de l’ensemble des parties prenantes en particulier des populations directement concernées.
Ce travail met finalement en lumière les limites d’un modèle de développement imposé par l’État, souvent déconnecté des réalités rurales. Il invite à repolitiser les choix techniques et à revaloriser l’eau comme un droit fondamental, au-delà de sa valeur économique. En ce sens, il contribue à une réflexion critique sur les réformes néolibérales dans les Suds contemporains et sur les possibilités d’alternatives ancrées localement et orientées vers la justice sociale et environnementale. |